Un médecin de campagne au XVIIIe siècle où la " Goutte " de M. Surineau seigneur de la Ménolière à Saint Philibert de Bouaine (*)

 

Abstract : The document that we propose to study comes from a private collection(**). It concerns an invoice written by a country doctor covering one period going from 1758 to 1768. This document is more interesting, it informs us about the current practices of countryside doctor in the XVIII th century and about a very frequent pathology at that time, the gout.

Résumé : Le document que nous nous proposons d’étudier provient d’une collection privée (**). Il s’agit d’une facture écrite par un médecin de campagne qui couvre une période allant de 1758 à 1768. Ce document est des plus intéressant, il nous renseigne sur les pratiques courantes du médecin de campagne au XVIIIe siècle et sur une pathologie très fréquente à cette époque, la " Goutte ".

Si l’on examine cette facture sous la forme, le plus surprenant est tout d’abord de constater que le praticien attend pratiquement 10 ans avant d’envoyer sa facture (1758 à 1768). La somme due par M. Surineau est de ce fait assez élevée : 104 livres 15 sous. Le lecteur est également surpris par la pauvreté de l’orthographe du médecin, bien que son écriture soit affirmée. Un descriptif parfois trop général nous prive de précieux renseignements, notamment quand le médecin parle de porter " une médecine ". Malgré tout, essayons de cerner de plus près la démarche du praticien et ce dont il dispose pour soigner son patient.

Le tableau statistique que nous avons établi à partir du nombre de visites entre 1758 et 1768 montre que sur 10 ans, le mois le plus difficile pour M. Surineau est le mois de septembre, que les mois d’hiver sont propices à la maladie, tout comme le printemps. A l’inverse, pendant ces mêmes 10 années M. Surineau n’a jamais vu le médecin durant les mois d’août et d’octobre.

Le traitement de la maladie se fait sous deux formes, soit médicamenteuse, par ingestion ou application extérieure, c’est la démarche la plus courante ( 86% de la facture) , soit par une intervention directe du praticien sur le patient (saignée, lavement, respectivement 8 et 6% de la facture).

Les médicaments :

a) par ingestion :

Deux sont expressément cités :

l’essence d’absinthe qui est donnée sous forme de gouttes et dont l’action est essentiellement carminative (expulsion des gaz digestif) ou purgative. Elle est prescrite à raison de 20 à 60 gouttes. On peut penser qu’elle entre dans le cadre des prescriptions destinées à traiter la goutte c’est ce que nous rappelle le " dictionnaire économique, contenant les moyens d’augmenter et conserver son bien et mesme sa santé " (1) : " on s’en sert dans les maladies du foie de la rate et de l’estomac ".

Le quinquina, employé soit pour sa fonction apéritive ou fébrifuge.

b) par application :

Le médecin utilise l’emplâtre qui est défini comme fondant : " je anvoie un amplatre fondante " utilisé sans doute, tout comme l’onguent de mer , comme anti-inflammatoire ou astringent dans le traitement de la goutte.

Les interventions directes du praticien sur le patient :

On distingue :

La saignée, que le médecin exprime sous la forme : " et je tire un sans " ou " je ete saigné M. " ;

Le lavement est lui aussi très utilisé. On distingue un lavement normal et un lavement plus poussé : " un lavement complet ", qui se facture 5 sous de plus que le normal. Il existe également un lavement complet et purgatif qui se facture 1 livre de plus que le précédent. La littérature médicale de l’époque, concernant la thérapie de la goutte, vient une nouvelle fois éclairer les prescriptions : " Quelquefois l’on fera prendre des lavemens composés avec des herbes ordinaires ; l’on purgera sur le déclin de la maladie avec une once de tablette de suc de roses purgatif.. " (1).

De ces différentes prescriptions, nous pouvons déjà deviner certains maux dont souffre M. Surineau.

Nous avons des posologies fébrifuges qui laissent à penser que la mauvaise saison avec ses rhumes ou grippes a couché M. Surineau.

Mais la caractéristique la plus intéressante reste la mise en évidence des crises de gouttes fréquentes dont souffre M. Surineau.

La panoplie du traitement de la goutte est omniprésente dans cette facture, à la fois par le traitement, carminatif ou purgatif, que complètent les saignées, les lavements ou les emplâtres.

Un petit rappel sur la goutte, telle qu’on la considère à l’époque, est nécessaire pour faire cette analyse :

qu’est-ce-que la goutte ? c’est une douleur des jointures, causée par des humeurs âcres qui tombent sur les parties... "

" de la guérison de la goutte. En quoi consiste la guérison de la goutte ? Elle consiste à observer le régime universel et particulier.

Qu’est ce que le régime universel ?

C’est de tenir le ventre lâche par des lavemens, et de décharger le cerveau par des masticatoires, et par ce empêcher la fluxion.

Qu’est ce que le régime particulier ?

C’est de saigner le malade, s’il est replet, et de lui donner ensuite des alimens de facile digestion.(2)

D’autres considérations tirées du " Dictionnaire économique, contenant les moyens d’augmenter et conserver son bien et mesme sa santé " (1), ne manquent pas de saveur :

" Il y a encore à observer, que la plupart des gouteux sont plus astrologues que tous ceux qui font des almanachs, d’autant qu’ils présagent toutes sortes de bons ou mauvais tems. Elle attaque ordinairement les riches parce qu’ils mangent beaucoup, et boivent par excès, et qu’ils font peu d’exercice ; ou s’ils en font, c’est pour accabler la nature. "

Lavements et saignées sont aussi préconisés : " pour la goute bileuse, il ne faudra pas manquer de tempérer, rafraichir les entrailles, en donnant souvent des lavemens, et tirer une fois ou deux du sang ; en purgeant deux jours après la saignée... "

A travers ces conseils en usage dans les livres de médecine au début du XVIIIe siècle ; il est clair que M. Surineau est sujet à cette douloureuse affection qu’est la goutte.

Pour l’anecdote, nous avons retrouvé une posologie typique de l’époque nous la livrons à votre appréciation :

que faut-il faire pour résoudre la goutte ? Il faut se servir de cataplasmes faits avec la mie de pain et de lait, auxquels on ajoutera des jaunes d’oeufs, et un peu de Safran, ou de ceux de fiente de boeuf et de chèvre, incorporez avec les cendres de choux communs et le miel... "(2)

Mais pour faire plus simple, nous vous recommandons celle-ci :  " Le cuir du talon de la patte droite du vautour mis sur le pied droit, et de la gauche sur la gauche du gouteux, peut apaiser la douleur . Cardan (1)

 

Avis aux amateurs.

Michel Lopez

 

(*) Saint Pilibert de Bouaine, commune du département de la Vendée, arrondissement de la Roche-sur-Yon, canton de Rocheservière.

(**) Collection M. Lopez

(1) Dictionnaire économique, contenant les moyens d’augmenter et conserver son bien et mesme sa santé ; in f° 1715, pp.1252 à 1258 (page de titre absente)  

(2) Abrégé complet de la chirurgie de Me Guy de Chaulliac ; in 12° 1716, pp. 554 et 555 (page de titre absente)  

Cet article a fait l'objet d'une communication orale à l'Assemblée Générale des Historiens du Pays de Retz - août; 1998 en l'abbatiale carolingienne de Saint-Pilbert de Grand Lieu (Loire-Atlantique- France) - M. LOPEZ

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